e-EHPAD : Bellevue – 2.0

  1. La télémédecine devient incontournable.

Les progrès technologiques de la médecine depuis la création de la sécurité sociale en 1945 ont fait exploser le coût du matériel médical, et les dépenses de santé ont augmenté de 15% en moyenne tous les ans jusqu’en 1985. La consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) dans la richesse nationale a été multipliée par 3,5 de 1950 à 2022, passant de 2,5 % à 8,9% du PIB.  

A partir de 1985 le rythme de croissance de la dépense de santé s’est nettement réduit, moins de 5% par an, à la suite d’un renforcement graduel de la régulation des dépenses. Les politiques publiques depuis 1980, pour contenir les dépenses de santé et augmenter la compétitivité de nos grandes métropoles, ont conduit à une France à deux vitesses et la création des déserts médicaux dans les zones « périphériques ». Pour nous la conséquence de ce nouveau paradigme est la concentration des moyens (matériels et spécialistes) au CHD de la Roche-sur-Yon et la pénurie de médecin généraliste en Sud-Vendée.

Le désert médical sur notre territoire n’est donc pas une fatalité, mais bien une évolution de notre société décidée par les gouvernements successifs. Par ailleurs on ne pas dire que nous sommes globalement moins bien soignés en France, puisque l’espérance de vie augmente tous les ans un peu plus.

Arrivée de la télémédecine :

Dans le paysage de cette nouvelle organisation de l’offre de soins, émerge depuis plusieurs années, grâce aux avancées technologiques des moyens de communications, la télémédecine. Deux composantes des 5 domaines de la télémédecine nous intéressent aujourd’hui en EHPAD : la téléconsultation et la télé-expertise. La première permet un échange en direct avec un praticien qui fait une prescription, alors que la seconde propose en différé une analyse sur dossier. Les deux sont complémentaires et concernent aussi bien les généralistes que les spécialistes. Pour éviter les dérives et encadrer les remboursements par la CPAM, depuis 2023 la pratique de la télémédecine est soumise à un agrément du ministère de la santé et au label « société de Téléconsultation ».

La télé-expertise n’est pas un sujet, car elle est pratiquée depuis toujours entre les professionnels de santé et cela fonctionne très bien. L’évolution récente est la création de réseaux sécurisés, structurés à l’échelle nationale mais surtout aujourd’hui ouverts aux particuliers ou aux établissements médicosociaux. Il nous suffit donc de nous inscrire sur ces réseaux.

Concernant la téléconsultation, le plus gros reproche qui lui est fait actuellement, c’est que le praticien appuie son diagnostic sur un déclaratif du patient qui n’est pas formé pour ça. Et même si la téléconsultation peut utiliser des stéthoscopes, thermomètres, tensiomètres … connectés, cela ne remplacera jamais un contact physique avec le patient. Une solution pour améliorer cette pratique est d’avoir avec le patient une assistante médicale formée pour cet exercice : à nous de nous organiser pour y parvenir.

2. E-santé et la création des DMP.

Depuis plus de 20 ans l’état organise la transition numérique de la santé en France avec la création du Dossier Médical Partagé comme pièce centrale du dispositif :

2024 : sous l’égide de l’Agence du Numérique en Santé (ANS) et avec le financement du Ségur du numérique en santé, la transformation numérique de notre établissement se concrétise avec l’interconnexion de notre logiciel métier, NetSoins, avec « Mon espace santé » et la messagerie santé sécurisée.

L’ambition de cette première étape est de généraliser le partage fluide et sécurisé des données de santé entre professionnels et usagers pour mieux prévenir, mieux soigner et mieux accompagner. Concrètement, dès qu’un résident à activé « Mon espace santé » les professionnels de santé peuvent déposer automatiquement dans son Dossier Médical Partagé (DMP) l’ensemble des prescriptions et des comptes-rendus. A l’EHPAD sur NetSoins, les infirmières et les médecins, grâce à leur carte professionnelle, peuvent accéder directement au DMP et à ce qu’il contient. De la même façon, au moment d’une hospitalisation, l’EHPAD dépose sur le DMP du résident un Dossier de Liaison d’Urgence (DLU) qui pourra être consulté par l’Hôpital avant même l’arrivée du résident. Ce changement de paradigme demande à chacun de se former aux nouveaux usages et à apprivoiser les nombreux acronymes. Le déploiement commencé en 2019, couvre aujourd’hui l’ensemble du territoire national.

Cette première version de la é-santé à la résidence Bellevue est rentrée dans les pratiques des soignants et toutes les infirmières ont une carte professionnelle active, ce qui leurs permet de communiquer avec l’ensemble des acteurs de la e-santé. Pour chacun d’entre nous, à titre individuel, cette mise en relation avec le monde de e-santé se fait par l’intermédiaire de « mon espace santé » :  

3. 2025 : Bellevue -2.0.

Pénurie de médecin généraliste :

Le départ à la retraite du docteur Pouplet, qui a la moitié des résidents dans sa patientèle, entraine la résidence Bellevue à rejoindre cet été la dure réalité du désert médical du Sud-Vendée. L’établissement est donc brutalement confronté à la pénurie de médecin généraliste, et il faut durablement changer nos usages en termes de relations avec les médecins traitants. Actuellement chacun des résidents a un médecin traitant sur l’Hermenault qui se déplace sur l’établissement autant que nécessaire.

Le principe était jusqu’en 2024 que tout nouveau résident à Bellevue était intégré dans la patientèle de l’un des médecins de l’Hermenault. Aujourd’hui les deux derniers médecins généralistes de la commune ne peuvent pas s’engager sur la perpétuité de ce principe. A partir de cet été une partie des résidents n’auront donc plus de médecin traitant ou un médecin traitant qui ne se déplacera pas sur l’établissement. Il faudra pour ces résidents dissocier le suivi médical et l’orientation dans le parcours de soins coordonnés, qui restera dédié au médecin traitant lorsqu’il existe, et une consultation pour soigner une dégradation imprévue. La coordination des soins ne pourra se faire que sur l’impulsion de l’équipe infirmière de l’établissement.

Evolution proposée par l’ARS :

Ce nouveau paradigme de la médecine de ville impose d’une part à se réorganiser dans le domaine de l’accompagnement médical et d’autre part d’utiliser de nouveaux outils. La solution proposée par l’ARS est de passer l’établissement en dotation globale soins ( c’est l’établissement qui prend en charge l’ensemble des prestations payées par la CPAM : médecin, kiné, médicaments, …, avec un budget qui lui est attribué en début d’année). C’est-à-dire que le D de dépendance devienne le M de médical : Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Médicalisé. L’objectif est de salarier un médecin généraliste qui devient le médecin traitant de tous les résidents, et de financer une infirmière de nuit. Cette option n’a pas été retenue à ce jour pour au moins deux raisons : nous n’avons aucune garantie de pouvoir recruter un médecin généraliste en Sud-Vendée, et cette organisation entraine une régulation des entrées en fonction du coût de l’accompagnement médical (consultations et médicaments). En effet, une fois définie la dotation est reconduite tous les ans sans garantie de réévaluation.

Solution retenue par l’établissement :

L’établissement a donc décidé de s’adapter d’une autre façon pour conserver un accompagnement médical de qualité, et nous commençons par mette en place en 2025 :

  • Un nouveau résident conserve son médecin traitant même s’il ne se déplace pas sur la résidence,
  • Un poste « d’infirmière assistante médicale » a été créé pour faire le suivi des dossiers médicaux, gérer la coordination du parcours de soins avec les médecins traitants et organiser la télémédecine.
  • Un contrat est signé avec une société de téléconsultation et de téléexpertise :
  • Un nouveau protocole est mis en place pour les résidents n’ayant pas un médecin traitant qui se déplace sur la résidence, avec la possibilité de faire une téléconsultation soit avec son médecin traitant (si c’est possible) soit avec un médecin de Toktokdoc.

Cette nouvelle organisation implique pour les équipes de bien distinguer les situations ordinaires, qui demandent une prise de rendez-vous dans les 72h (médecin traitant ou télémédecine), des situations d’urgence qui nécessitent un avis médical dans les 24h (médecin traitant ou le 116/117) et les situations vitales qui imposent un appel au 15. Une évaluation de l’efficience de cette nouvelle organisation sera faite fin 2025 pour définir les ajustements nécessaires, ou trouver une autre solution si l’expérimentation est un échec.

4. Conserver l’humanité de l’accompagnement médical.

La technicité de la médecine moderne et la judiciarisation des relations génèrent parfois des régulations totalement déshumanisées. Il est alors important de se rappeler qu’un des rôles de l’EHPAD est de limiter les hospitalisations inutiles pour préserver le confort du résident. La moyenne d’âge de nos résidents est de 90 ans, c’est un âge auquel le plus souvent l’accompagnement médical s’oriente vers du palliatif en évitant les investigations lourdes. Pour autant il s’agit quand même de poser un diagnostic dans un délai raisonnable, sachant que l’état de santé d’une personne âgée peut se dégrader très rapidement.

C’est pourquoi la coordination médicale en lien avec le résident et sa famille doit être réactive, c’est tout l’enjeu de la réorganisation de l’équipe infirmières qui doit s’adapter au nouveau paradigme des médecins généralistes.